Que nous dit notre dictionnaire contemporain ?
« HAHA (n.m. Syn. de SAUT-DE-LOUP) : Petit fossé couvrant l’entrée d’un ouvrage fortifié ».
Soit, très bien ! Mais pourquoi Haha ? Pourquoi saut-de-loup ? Cette définition, pour exacte qu’elle soit, ne nous renseigne malheureusement pas sur la bizarrerie de ces termes.
Le temps a quelque peu émoussé la signification de ces mots et c’est en nous plongeant dans la lecture des principaux dictionnaires du XVIIIe siècle que nous allons pouvoir à nouveau goûter toute la saveur de ces expressions.
Ainsi, c’est page 27 de La Théorie et la pratique du jardinage, paru en 1709, d’Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) que le haha est évoqué pour la première fois. En effet, au chapitre III de la Première Partie de son ouvrage, traitant des Dispositions & Distributions générales des Jardins, d’Argenville s’applique à nous décrire une planche « représentant un Jardin situé sur une côte, dont les terrasses sont sur le côté ». Une courte phrase attire alors notre attention :
« Le bout de cette terrasse est terminé par une claire-voïe qu’on appelle autrement un ah, ah, avec un fossé sec au pied ».

Ha-Ha rectangulaire, face à l’Allée de la Reine, le long de l’Allée des Ha ! Ha !
Pour ce qui est du haha, le tome 1 de l’Encyclopédie (1751) de Diderot, nous donne non seulement une définition ― où l’on retrouve du reste CLAIRE VOIE et SAULT DE LOUP en synonyme ― mais ajoute aussi une pittoresque étymologie du mot :
« AH-AH, (Jardinage) CLAIRE VOIE ou SAULT DE LOUP. On entend par ces mots une ouverture de mur ∫ans grille, & à niveau des allées avec un fo∫∫é au pié, ce qui étonne & fait crier ah-ah. On prétend que c’e∫t Mon∫eigneur, fils de Louis XIV, qui a inventé ce terme, en ∫e promenant dans les jardins de Meudon ».
Ainsi, cette dénomination proviendrait directement de l’interjection ah, qui « ∫err à marquer la joie, la douleur, la ∫urpri∫e, l’amour, & plu∫ieurs autres affections de l’ame ». Et, à tout seigneur tout honneur, c’est au Dauphin lui-même que reviendrait l’initiative de cette exclamation de surprise, reprise en chœur par les courtisans.
Au XIX siècle, le dictionnaire des dates d’A.-L. d’Harmonville (1842) reprend cette explication avec encore plus de détails !
« AH ! AH ! ou SAUT DE LOUP. Ce terme, dit-on, fut inventé par monseigneur, fils de Louis XIV, qui, parvenu dans les jardins de Meudon, près d’une ouverture de mur sans grille, avec un fossé au pied, s’écria surpris : ah ! ah ! »

Ha-Ha rectangulaire, face à l’Allée de la Reine, le long de l’Allée des Ha!Ha!
On remarquera au passage que dans son édition de 1771, le dictionnaire de Trévoux propose une nouvelle orthographe. En effet, l’entrée AH-AH nous indique :
« AH-AH. Terme de jardinage. Voyez HAHA ».
Et donc de nous proposer cette nouvelle définition :
« HAHA. C’e∫t ain∫i qu’on appelle une ouverture faite au mur d’un jardin, afin de lai∫∫er la vue libre, avec un fo∫∫é de-dehors ».
De nos jours, on écrit bien Ha-Ha ou Hâ-Hâ.

Ha-Ha central de l’Étoile des Ha! Ha! face à l’Allée du Réservoir
En ce qui concerne la référence au Loup, on peut lire, à l’entrée LOUP de l’abrégé du dictionnaire de Trévoux (1762), cette indication :
« On appelle Saut de loup, un fo∫∫é a∫∫ez large pour n’être pas franchi par un loup, & qu’on creu∫e au bout des allées d’un parc, pour les fermer. On l’appelle autrement un Haha ».

Ha-Ha en demi-lune de l’Allée des Ha ! Ha ! face à l’Allée des Jardins
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C’est en vous promenant sur le pourtour du jardin à la française du Grand Trianon que vous pourrez admirer les plus magnifiques exemples de Ha-Ha. Leur construction date de la toute fin du XVIIe siècle, après l’édification du Trianon de marbre (1687-1688) en remplacement du Trianon de Porcelaine (1670).
Leurs formes, tour à tour rectangulaires, biseautées, rectilignes, incurvées, en demi-lune, épousent la géométrie du terrain et font de modestes fossés, de véritables ouvrages d’art. Les plus imposants se trouvent à l’ouest du domaine, le long de la bien-nommée Allée des Ha ! Ha ! et notamment autour de l’Étoile des Ha ! Ha !

Ha-Ha fortifié à l’angle nord-ouest de l’Allée de la Ceinture, face à l’Allée de la Reine

Ha-Ha en demi-lune de l’Allée des Ha ! Ha !, face à l’Allée des Jardins

Ha-Ha biseauté du mur d’enceinte Est, à l’extrémité de l’Allée de la Reine
L’auteur de ce présent article, en guise de boutade, se risque à une autre explication. Le promeneur solitaire qui s’amusera à crier ah ! dans la cavité murée d’un fossé entendra son propre écho, ah ! ah ! Faire venir l’écho des montagnes dans la plaine de Versailles, n’est-ce pas là enchantements à l’image du monarque absolu, qui se plaisait à plier la nature rebelle à son bon plaisir…
Jean GUILLAUME

Ha-Ha « à l’anglaise », entre le Hameau de la Reine (g.) et l’Allée des Rendez-vous (dr.)

Vision romantique du Ha-Ha « à la française », près du Château Neuf

Vision romantique du Ha-Ha « à la française », près du Château Neuf