Le 8ème festival Versailles au Son des Orgues a lieu ce mois de décembre avec une programmation proposant des répertoires variés. Parmi les artistes, Arthur Nicolas-Nauche, étudiant au conservatoire de Versailles, est un des deux « jeunes talents » à se produire en concert. Rencontre avec un jeune professionnel passionnant et remarquable représentant de cet instrument mystérieux – pour certains d’entre nous! – qu’est l’orgue. Je vous propose de faire un peu plus connaissance avec ce jeune organiste et pour illustrer l’entretien, ne manquez pas de retrouver Arthur en concert mardi 19 décembre à la chapelle Notre-Dame des Armées!
Arthur, nous pourrons t’écouter au concert d’orgue mardi prochain à la Chapelle Notre-Dame des Armées, parmi les « Jeunes Talents » du festival Au Son des Orgues. Tu es élève du conservatoire de Versailles ?
Oui, je suis élève depuis cette année au conservatoire de Versailles dans la classe de Jean-Baptiste Robin. Je m’intéresse beaucoup à sa musique, c’est ce qui a en grande partie motivé ma venue ici ; j’avais aussi envie de me perfectionner dans le répertoire de la musique française baroque.
Versailles s’y prête très bien – il y a conservatoire, le Centre de Musique Baroque, l’histoire de Versailles, l’orgue de la Chapelle royale ! Jean-Baptiste Robin, organiste titulaire de la Chapelle royale du Château de Versailles est spécialiste de ce répertoire de musique française et il l’enseigne très bien. C’est un répertoire difficile à aborder et assez peu de personnes le comprennent bien.
Quel a été ton parcours avant cela ?
D’origine bretonne, j’ai commencé la musique à Saint Malo puis Rennes. Après le bac je suis venu en région parisienne pour étudier plus en profondeur l’orgue et l’improvisation à Saint Maur avec Eric Lebrun et Pierre Pincemaille, pendant deux ans. J’ai également suivi des cours de direction d’orchestre.
Ensuite j’ai été admis à la Haute Ecole de Musique de Lausanne dont je suis sorti diplômé en juin dernier d’un Bachelor, l’équivalent du DNSPM (Diplôme National Supérieur Professionnel de Musicien) en France.
Pourquoi avoir choisi l’orgue ?
Je suis très curieux et l’orgue était un instrument mystérieux pour moi. Déjà tout petit, cet instrument très impressionnant avec une grande puissance sonore m’attirait.
J’ai découvert cet instrument à l’âge de 4/5 ans, alors que je participais à des séances de découverte d’instruments organisées par le conservatoire de ma ville. J’avais alors voulu faire de l’orgue mais on m’en avait dissuadé au prétexte que c’était « trop compliqué » ! C’est sûr que tout petit c’est difficilement accessible, j’ai compris pourquoi après ! Il faut faire une certaine taille pour pouvoir atteindre le pédalier et jouer sur certains claviers. J’ai donc finalement étudié le piano mais j’ai fini par rejoindre les cours d’orgue à l’âge de douze ans.
Le concert de mardi présente un programme de transcriptions d’œuvres de Rameau, Mozart, Fauré et improvisations. Peux-tu nous en dire plus sur ce répertoire ?
C’est un concert particulier car le programme ne présente que des transcriptions et improvisations. On va jouer majoritairement des pièces qui ne sont pas écrites pour l’orgue à l’origine, mais adaptées, souvent de pièces pour orchestre.

Vitraux de l’église Notre Dame des Armées
Alexandre, avec qui je jouerai en alternance ce soir là, commence avec des extraits de l’opéra de Rameau « Les Indes Galantes », notamment avec « Les Sauvages ». Cela peut paraitre surprenant de nos jours d’entendre ce type de répertoire à l’orgue, instrument qu’on associe souvent à la musique religieuse, or à l’époque l’orgue était, avec le clavecin, un instrument réputé. Du fait de ses possibilités, les compositeurs y jouaient souvent leurs œuvres pour se rendre compte de ce que cela donnait avant de les faire jouer par un orchestre. Ces pièces n’étaient donc pas écrites pour orgue à la base, mais on sait que Rameau était organiste !
Par contre, quand on écrivait spécifiquement pour orgue, il s’agissait majoritairement de musique religieuse. Du temps de Rameau, jouer les Indes Galantes ou Les Sauvages dans les églises, ça ne passait pas ! Il y avait ce côté religieux sacré or l’œuvre de Rameau est plutôt de la musique de chambre, de théâtre et de scène. Ceci dit le répertoire religieux écrit pour orgue de cette époque comprenait souvent des suites de danse exactement comme la musique d’orchestre, il n’y a pas de grande différence excepté le contexte et le texte.
Ce n’est qu’à la fin du 18ème siècle que le repertoire pour orgue s’oriente progressivement vers de la musique beaucoup moins religieuse.
Mardi nous jouerons aussi des transcriptions d’oeuvres de Mozart, Fauré, Saint-Saëns, Beethoven.
Les pièces de Mozart écrites pour orgue n’étaient pas jouées par un musicien mais par des orgues mécaniques avec des cartes percées, un peu comme pour les orgues de Barbarie ! Aujourd’hui, quand on joue ces œuvres de Mozart, on se pose la question de ce qu’on peut adapter car on ne peut pas tout jouer – l’orgue mécanique était une machine ! On a les partitions mais on est obligés de faire des choix : comment adapter ces musiques pour les faire sonner le mieux possible à l’instrument en étant un seul interprète ? Qu’est-il intéressant de transmettre dans l’intention musicale ? Il s’agit de retravailler la partition pour que ce soit jouable et esthétiquement le plus proche possible de l’intention du compositeur. On se rapproche de la démarche de transcription pour une œuvre de Rameau ou Fauré : comment adapter ces musiques pour rendre la pièce orchestrale tout en étant interprétée par un seul musicien à l’orgue ?
Les Nocturnes de Fauré sonnent très bien à l’orgue, tout comme la Sicilienne de Pelléas et Mélisande qui sera jouée mardi.
Les seules pièces pour orgue écrites par Beethoven étaient également destinées à être jouées par un orgue mécanique. Mais au concert de mardi nous avons choisi de présenter la transcription de la 7ème symphonie ( 2ème mouvement) de Beethoven, qui sera jouée par Alexandre Catau.
On a la chance d’avoir un instrument avec beaucoup de timbres et de couleurs, c’est intéressant de jouer ces pièces pour orchestre quand elles sont adaptables. Mais toutes les œuvres ne se prêtent pas à la transcription, c’est le travail du musicien de voir ce qui peut marcher ou pas.
D’un côté on a tout un travail d’aspect musicologique et analyse qui se rapproche d’une forme d’enquête avant de parvenir à un résultat qui sonnera bien en transcription. Et d’un autre côté on est directement dans la musique en tant qu’interprète : il faut ajuster les timbres pour qu’ils aillent ensemble, interpréter, tout en faisant le travail technique inhérent à toute exécution musicale.
Comment techniquement est-il possible de jouer sur l’orgue des pièces écrites pour orchestre ?
En essayant de simplifier, la première étape est de réduire sur les claviers la musique de manière à ce qu’elle soit réalisable manuellement. La deuxième étape, quand on a la chance d’avoir au moins deux claviers – ce qui est le cas la plupart du temps depuis le 18ème siècle – est d’isoler les parties : on peut faire un effet voix principale sur des jeux particuliers et une voix d’accompagnement.
C’est en ce sens qu’on rejoint l’orchestre car on peut isoler un chant tout comme dans un orchestre où le hautbois par exemple va faire son entrée en solo et être rejoint par l’ensemble des cordes. L’orgue est l’instrument le plus à même de le faire bien. On peut faire cet effet de solo avec l’orchestre derrière, les pieds assurant les parties les plus graves et contribuant à donner cet effet orchestral.
En jouant sur plusieurs claviers, on peut aussi diviser les deux mains : trois doigts sur le clavier du dessus, deux doigts sur le clavier du milieu. En y ajoutant le pédalier pour les pieds on arrive à quatre voix distinctes sur des jeux différents.
Avec les transcriptions, on a vraiment la sensation d’avoir l’orchestre sous la main, on a une forme de plaisir à tout maitriser !
Tout ceci semble assez physique non ? En tout cas difficile !
Je ne dirais pas que c’est physique, enfin un peu, mais comme tous les instruments ! Ce qui est sûr c’est que ça demande surtout une coordination très forte. Je crois que nous sommes les musiciens qui devons le plus travailler là-dessus. Savoir être coordonné et désynchronisé, finalement individualiser chaque membre : bouger les deux pieds indépendamment, les deux mains indépendamment, ça fait partie des grandes difficultés de l’orgue.
Une autre grande difficulté est de garder une vision musicale – car c’est une machine tout de même, on ne peut pas vraiment influer sur le son en lui-même au moment où on joue la note. Pour éviter que le son soit statique, on doit savoir modifier la partition, ne pas jouer exactement ce qui y est écrit pour faire ressentir l’intention musicale et faire vivre la musique. Il nous faut justement éviter d’avoir un jeu très mécanique et garder une musicalité. C’est un défi de transmettre l’émotion et la vision musicale malgré la machinerie. Parfois on est aussi contraints de modifier le rythme pour transmettre cette intention musicale.
Enfin, il faut savoir s’adapter à chacun des instruments, car ils sont tous différents. Pas un instrument n’est semblable à un autre, contrairement au piano ou à la flûte par exemple qui sont des produits manufacturés. On peut passer d’un orgue à un clavier à un orgue à cinq ou six claviers !
Et puis d’un instrument à l’autre ce n’est pas toujours le même mode de transmission : certains sont de construction mécanique, on sent alors la sensation physique de l’air qui va passer dans les tuyaux quand on appuie sur la note, d’autre sont électriques, on joue comme dans le vide. La sensation au toucher est différente.

L’orgue de Notre Dame des Armées et « la montre » : tuyaux situés en façade, ceux que l’on montre. Des milliers d’autres tuyaux sont placés derrière.
Pour revenir sur le fonctionnement de cet instrument à vent, qu’appelle t’on un « jeu » ?
Un jeu, c’est ce qui modifie le rendu sonore, plus concrètement c’est une famille de tuyaux reliée aux notes. Il y a des jeux qui imitent les cordes, pratique pour jouer des œuvres de Debussy ou Fauré, d’autres jeux imitent les trompettes et le clairon.
On a des jeux avec des sons plus romantiques, d’autres plus baroques. Il y a des jeux spécifiques à l’orgue comme le plein jeu qui est le son classique de l’orgue que tout le monde connait, basé sur des harmoniques. On peut aussi imiter beaucoup de choses : les voix célestes, très utilisées au début du 20ème siècle dans les cinémas muets qui investissaient souvent dans des grands orgues couteux. On peut même ajouter aux voix célestes un effet tremblant pour encore plus d’effet !
A la pédale, ce sont les jeux les plus graves. Presque tous les instruments de l’orchestre sont répertoriés dans l’orgue. On peut faire dialoguer les jeux comme dans l’orchestre.
Il y a des milliers de tuyaux cachés derrière la façade de l’orgue ! Chaque jeu a son tirant et sa propre rangée de tuyaux. Chaque note du jeu sélectionné peut être reliée à cinq tuyaux en fonction des types de jeux.
Pour prendre l’exemple du plein jeu, une note correspond à cinq tuyaux. Si on compte 56 notes sur chacun des trois claviers et les 32 notes du pédalier pour les pieds, on arrive déjà à 1000 tuyaux !

Les tirants, placés sur chaque côté des claviers servent à sélectionner les jeux
Tu évoques l’orgue dans le cinéma muet, quelle était la place de cet instrument dans la société du 19ème et 20ème siècle ?
L’orgue était très connu au début du 20ème siècle, en partie effectivement dans le cadre du cinéma muet, quand il n’y avait pas possibilité de rémunérer un orchestre entier.
C’était un instrument également très répandu au 19ème siècle : il y avait des orgues énormes, cela revenait moins cher aux villes qu’un orchestre. On y jouait des pièces à la mode, beaucoup de transcriptions de Tchaikovsky, Saint-Saëns, beaucoup de pièces écrites pour orchestre, et pas que des pièces religieuses ! L’orgue a été un grand instrument de cohésion. Au début du 20ème siècle on en trouvait encore beaucoup dans des salles de concert comme à Paris au théâtre des Champs-Elysées, salle Gaveau, Pleyel, à l’Opéra où il y en a toujours un d’ailleurs mais en mauvais état.
Puis l’instrument a été oublié et a progressivement disparu des salles de spectacle. L’orgue n’est resté associé qu’à l’église, ce qui n’était pas forcément le cas à la fin du 19ème siècle : on pouvait très bien aller au Trocadéro écouter un concert de piano et le lendemain une symphonie jouée à l’orgue, c’était tout aussi à la mode. D’ailleurs Saint-Saëns, Widor ou Fauré étaient organistes et faisaient des concerts là bas. Le fait que l’orgue ne soit resté que dans les églises a contribué à lui donner cette image exclusivement religieuse et dans un siècle ou l’église a perdu beaucoup de pouvoir, cela a fortement contribué au déclin du rayonnement de l’instrument.
Il y a un encore un gros travail de médiatisation et de communication à fournir pour faire évoluer cela ! Avec le concert de mardi, l’idée est justement de donner une vision de l’instrument qui n’est pas cette vision traditionnellement religieuse qu’on pourrait en avoir !
Quels sont tes projets ensuite ?
Je prépare des concours et j’essaye de développer des projets d’un genre nouveau avec l’orgue. J’ai également des projets d’enregistrement de musique du 20ème siècle. Je donne quelques concerts et j’ai créé une association « Genres & Ma.Ni. » avec un danseur. On fait des projets orgue et danse, avec des danseurs contemporains, ça marche plutôt bien. On a été engagés dans un projet avec l’éducation nationale sur la danse et on va essayer de faire tourner le spectacle orgue et danse avec trois danseurs et des transcriptions de musique d’orchestre à l’orgue. On a également un autre projet complètement basé sur l’improvisation à l’orgue et l’improvisation dansée. Tout ceci prend beaucoup de temps, il faut cherche les sponsors, gérer l’administratif…
Je donne aussi cette année quelques cours de musique à des élèves en horaires aménagés dans un collège de la région parisienne.
Qu’est ce qui t’anime en tant que musicien ?
La musique s’est vraiment professionnalisée alors qu’avant on avait souvent un autre métier à côté. Les études en conservatoire sont très techniques et difficiles et on s’est progressivement enfermés dans quelque chose d’assez muséal, l’orgue en pâtit encore plus parce que, dans l’imaginaire commun, c’est l’église !
Pour moi c’est important que le musicien reste connecté avec tous les autres arts, il faut faire attention à ne pas le perdre. Je pense qu’en tant que musicien on doit apporter quelque chose au public, et au même titre que le théâtre, essayer d’ interpeller la personne que ce soit de façon positive ou négative, car l’art n’est pas toujours là pour être dans le beau. Il faut toujours rester connecté avec d’autres milieux, c’est pour cette raison que j’ai créé une association avec des danseurs.
L’orgue est une caricature du monde de la musique classique, et nous devons faire un effort pour aller plus vers le public pour la revalorisation de l’instrument, faire des passerelles entre les arts.
Nous, musiciens, avons eu la chance d’être éduqués pour comprendre cette musique, or pour apprécier certaines musiques il faut aussi apprendre à les connaitre : nous avons ce devoir d’apporter une prestation au public qui va être solide techniquement bien sûr, mais aussi d’essayer de transmettre une émotion. Pour cela il faut comprendre le public certes mais aussi connaître l’histoire de la musique que l’on souhaite transmettre. J’estime que 40 % du métier se fait en comprenant le contexte et les époques auxquelles les pièces ont été écrites. Si nous ne comprenons pas pleinement la musique et l’intention du compositeur, on ne peut pas le faire comprendre au public. Sinon on est juste dans l’exécution, et le danger surtout quand on est jeune et dans des études poussées au conservatoire c’est d’être des « performer » ou de faire juste une exécution propre. Aussi, à chaque fois que je commence une œuvre, j’essaie de comprendre la société de l’époque, je relis des pièces de théâtre ou de littérature écrites à ce moment là, je visite les musées. Certaines époques par exemple sont fascinées par tout ce qui est mécanique, vitesse ; on peut ensuite faire des choix pour essayer de le transmettre au public.
Pour avoir une âme et toucher le public, il faut s’ouvrir sur les autres. C’est ce que j’espère parvenir à faire !
Arthur Nicolas-Nauche sera en concert Mardi 19 décembre 2017 à 20h30 à l’église Notre-Dame des Armées, impasse des gendarmes, Versailles.
Pour plus d’informations et connaître le programme en détail : www.versaillesorgues.org/concert 19 décembre
Retrouvez également les autres concerts du Festival Au Son des Orgues : www.versaillesorgues.org/le-programme
Pour en savoir plus sur l’association orgue et danse créée par Arthur : https://www.genresetmani.org
Interview et crédits photos : Karine Péron Le Ouay
Pour plus de retours en images des concerts et informations, c’est ici : www.facebook.com/lalleedesrendezvous
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