Le Festival du Bruit qui Pense ou la musique classique expliquée. Du 23 au 25 mars 2018 aura lieu ce festival de musique ayant pour particularité la présence d’un modérateur à chaque concert pour présenter le programme et animer des discussions entre l’artiste et le public. Poulenc, Schumann, Ravel, Liszt ou Brahms : de l’intention des compositeurs à l’interprétation du musicien sur scène, ce festival est une belle occasion d’approfondir la connaissance de ces oeuvres ou tout simplement les découvrir, avec la complicité d’excellents interprètes .
« La musique, c’est du bruit qui pense » : le festival tire son nom de cette pensée de Victor Hugo et fait également la part belle aux écrits, lettres ou poèmes d’écrivains ou de compositeurs, avec le concert/lecture proposé par le Cercle Cendrars.
Le site des ruines de l’Abbaye de Port-Royal des Champs prête son charme et l’intimité de sa salle de concert, particulièrement adaptée aux échanges avec le public.
Ingmar Lazar a créé ce festival il y a trois ans et en assure la direction artistique. Je vous propose de faire connaissance avec ce jeune pianiste ayant déjà une belle carrière à son actif. A retrouver sur scène les 24 et 25 mars pour répondre à vos questions !
Ingmar Lazar, vous êtes pianiste et directeur artistique du Festival du Bruit qui Pense. Comment votre histoire avec la musique a-t-elle commencé et quel a été votre parcours jusqu’ici ?
« Je ne m’étais jamais vraiment posé la question si cela serait mon métier, cela a évolué de manière naturelle, disons que cela a toujours été une évidence pour moi. Enfant, il parait que je chantais avant de savoir parler! Il n’y avait pas de piano à la maison mais nous écoutions beaucoup de musique.
Pour l’anecdote, cela a commencé par un jouet en forme de piano que j’avais reçu pour mes trois ans. J’étais fasciné par ce jouet et je passais des heures à y jouer, aussi j’avais fini par demander s’il était possible de faire du piano pour de vrai!
J’ai commencé réellement à pratiquer le piano à l’âge de cinq ans puis j’ai eu la chance de me produire à l’âge de six ans à la salle Gaveau après avoir remporté un concours.
L’un de mes premiers professeurs était un pianiste russe, Valéry Sigalevitch, avec qui j’ai pris des cours jusqu’à l’âge de 14 ans.
Ensuite je suis allé étudier en Allemagne, à la Hochschule de Hanovre dans la classe de Vladimir Kraïnev (vainqueur du concours Tchaïkovski en 1970), un des derniers élèves du pianiste russe Heinrich Neuhaus*: je tenais absolument à suivre des cours avec un professeur issu de cette tradition. J’ai intégré sa classe durant trois ans, avant de poursuivre mes études là-bas avec Bernd Goetzke, qui fut le dernier élève de Arturo Benedetti Michelangeli (considéré comme l’un des pianistes italiens les plus importants du 20ème siècle).
*Heinrich Neuhaus (1888 – 1964) : pianiste russe considéré comme l’un des plus grands professeurs de piano de son temps. Il a formé de nombreux pianistes devenus des virtuoses réputés tels que Richter, Gilels ou Lupu.
Par la suite, parallèlement à mes études à Hanovre, j’ai intégré sur concours l’Académie du lac de Côme, en 2011. C’était une grande chance pour moi car nous étions sept élèves, venant des quatre coins du monde, à nous retrouver une semaine par mois pour suivre les master class de très grands pianistes tels que Dmitri Bachkirov ou Fou Ts’ong. Cette académie, présidée par la pianiste Martha Argerich, nous permettait d’aborder des approches différentes du jeu pianistique, nous nous nourrissions des expériences des uns et des autres et cela a beaucoup aidé chacun à trouver son propre chemin de musicien interprète, cela a été pour moi une grande ouverture tant culturelle avec ce côté international, que musicale.
Plus récemment, je viens tout juste de terminer mon master à Salzbourg, au Mozarteum avec Pavel Gililov. Je suis heureux d’avoir obtenu mon diplôme avec les félicitations du jury de l’Universität Mozarteum de Salzburg ce 26 janvier 2018! C’est le fruit de mon travail intense depuis toutes ces années… »
Avez-vous un répertoire de prédilection ?
« Il y a une période où j’ai beaucoup joué Chopin – qui occupe toujours une bonne partie de mon répertoire – puis Liszt, mais je m’intéresse également aux compositeurs baroques français comme Rameau. Actuellement je travaille des œuvres de Ligeti. J’essaye sans cesse d’élargir mon horizon, le répertoire du pianiste est tellement large qu’il faut, je pense, ne pas s’en priver. Après si on me demande quel est mon compositeur préféré, c’est difficile à dire, je dirais c’est l’œuvre que je travaille actuellement car je pense qu’on peut bien jouer quelque chose seulement si on est amoureux de cette œuvre. Si la rencontre avec l’œuvre ne se fait pas, il vaut peut-être mieux ne pas la jouer. »
Vous venez, à 24 ans, de sortir votre premier disque consacré au compositeur Franz Schubert…
« J’ai sorti mon premier disque solo en 2017, consacré effectivement à Schubert, cela grâce au prix du festival Verbier que j’ai obtenu en 2013 et à la fondation Safran dont je suis lauréat. C’est avec ces deux prix que j’ai pu enregistrer ce disque. Obtenir le prix du festival Verbier était pour moi une étape importante pour ma carrière. J’avais réfléchi à plusieurs options et j’ai pensé que faire un disque était un pas très important justement. Avant les artistes donnaient beaucoup de concerts pour pouvoir faire des enregistrements alors que maintenant c’est le contraire, le CD est un outil de communication, une véritable carte de visite qui aide à la diffusion de l’artiste!
J’ai eu une très belle émission consacrée à mon disque sur France Inter dans l’émission Classic & Co, un article dans Musikzen par François Lafon, et j’ai été interviewé à ce sujet sur Classicagenda par Frédéric Hutman.
Sinon auparavant j’avais enregistré des disques de musique de chambre avec le violoniste Alexandre Brussilovsky, avec qui j’ai donné également de nombreux concerts. »
A propos de concerts, quels sont vos projets en récital solo ?
« Je donne un concert à Berlin ce mois de mars. Je participerai ensuite en juin au festival des cultures juives à Paris. J’ai des concerts prévus en Angleterre et à Singapour, et je ferai mes débuts en novembre à la Philharmonie de Bratislava – Slovaquie – ainsi qu’au Concertgebouw d’Amsterdam. Concernant mes projets de musique de chambre, je jouerai en juin à St Martin-in-the-Fields à Londres avec le violoniste Brieuc Vourch, avec lequel je me produirai également au Festival 1001 Notes de Limoges et au Festival de la Roque-d’Anthéron. J’ai également des récitals prévus en Suisse avec la violoniste Ekaterina Valiulina, ainsi qu’en France et en Autriche avec le violoniste Benjamin Herzl. »
Ce mois de mars aura lieu la troisième édition du festival du Bruit Qui Pense. Pouvez-vous nous en dire plus, notamment sur le concept de modération que vous proposez lors des trois concerts ?
« Le nom de ce festival est inspiré d’une pensée de Victor Hugo :
La musique, c’est du bruit qui pense.
Le constat de départ est qu’il y a souvent une barrière entre le public et les artistes classiques, quelque chose d’assez distant. Je pense aux concerts de Richter: lorsqu’il se produisait en concert, il y avait un côté mystique ; il ne disait rien, il jouait puis il disparaissait! À cette époque le public était absolument fasciné par cela mais aujourd’hui je pense que cette approche peut dérouter.
D’un autre côté certains artistes n’aiment pas parler avant de jouer, ils préfèrent être dans leur monde. Alors j’ai essayé de trouver un moyen afin de faire entendre la voix de l’artiste et en même temps ne pas le déranger quand il est dans sa bulle.
C’est pour cela que j’ai imaginé ce concept de modérateur.
La particularité du festival est d’associer au concert un concept de modération. Une personne mélomane, pas forcément musicienne, présente le programme et fait le lien entre le musicien et le spectateur. Ce modérateur interviewe l’artiste sur scène, il incite l’artiste à s’exprimer et ainsi permet au public d’en savoir plus, sur l’intention du compositeur par exemple, ou sur les choix d’interprétation du musicien. Ce modérateur passe également la parole au public s’il souhaite poser des questions à l’artiste.
Je pense que c’est une belle approche qui permet de respecter l’artiste avant qu’il se produise sur scène tout en lui permettant plus facilement de s’ouvrir au public après son concert.
Le public a été très réceptif sur lors des deux précédents festivals et a beaucoup aimé poser des questions. »
Quel sera le programme du festival ?
« Au programme du concert d’ouverture, vendredi 23 mars : un récital de lieder et mélodies de Poulenc, Duparc, Schumann.
Je suis heureux d’y faire découvrir au public la mezzo soprano Laeticia Goepfert : j’ai été subjugué par son talent! Elle démarre une belle carrière mais est encore jeune et l’idée me plaisait de lui proposer de se produire en concert avec Danielle Laval, pianiste de renom en France, l’idée étant de créer des rencontres entre les musiciens qui n’ont pas forcément les mêmes horizons.
Peter Vizard sera le modérateur du premier concert. Il est directeur du conservatoire du 15ème arrondissement de Paris, chef d’orchestre et titulaire d’une formation en électro acoustique au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Un de ses autres atouts: il est acteur et a notamment joué dans certains films de Luc Besson. Comme il est musicien et acteur, c’est le profil parfait!
Le Samedi 24 mars, il y a tout d’abord un concert/lectures présenté par le Cercle Cendrars. Le nom du festival est donc inspiré d’une citation de Victor Hugo et j’ai souhaité cette année aller plus loin également avec des lectures de poèmes et de lettres de compositeurs. Seront présentés des extraits de textes de Cendrars ou Hugo en dialogue avec de magnifiques lettres des compositeurs Debussy ou Satie afin de découvrir aussi leur côté littéraire. Pour moi quand Satie écrit une lettre, c’est quasiment du niveau de ses œuvres musicales. Il y aura quelques extraits musicaux au piano afin de retracer l’atmosphère du poème.
Le deuxième concert, toujours le 24 mars proposera un programme de grandes sonates: la sonate de Debussy, année Debussy oblige!, la première sonate de Brahms et la sonate de César Franck qui sont des œuvres très emblématiques du répertoire violoncelle / piano. Je suis heureux de jouer pour la première fois avec le violoncelliste François Salque, lui fera également ses «débuts» à Port-Royal des Champs!
Pour le troisième concert, dimanche 25 mars, le programme comprend des œuvres visionnaires, c’est-à-dire des œuvres qui ont marqué le tournant de la littérature pianistique: tout cela sera abordé avec le modérateur. Le rondeau en Ré Majeur de Mozart, l’opus 111 de Beethoven, les Miroirs de Ravel, la Méphisto Valse – la première – de Liszt. Mis à part la Méphisto Valse, ces œuvres ont toutes dérouté le public à leur époque. Je vais commencer par le rondeau en Ré Majeur de Mozart, comme on faisait à l’époque, en mettant une courte pièce au début du concert.
J’essaie dans le cadre du festival, de développer des programmes unitaires mais très variés. Souvent on se limite à un seul compositeur par récital, ce qui est très légitime. Mais les programmes du 19ème siècle étaient beaucoup plus « pot pourri » qu’aujourd’hui, on jouait même rarement une sonate ou une symphonie en entier mais plutôt un seul mouvement de sonate. On ne va pas aller si loin, mais souvent on a peur de proposer des programmes très variés pensant que cela dérouter le public… je pense plutôt le contraire : bien sur on doit avoir un fil conducteur, mais je crois qu’un récital avec les trois dernières sonates de Schubert n’est pas forcément évident! Un programme de disque et de concert ne s’aborde pas de la même manière: on peut arrêter le disque quand on veut ou choisir de n’en écouter que quelques extraits pour reprendre plus tard l’écoute.
Pour ce dernier concert, Fanny Gilles tiendra le rôle de modératrice. Elle est actrice, chanteuse, musicienne et a un très bon contact avec le public. »
Comment vous est venue cette idée de modération, particularité du festival ?
« L’idée m’est venue il y a quelques années à l’occasion d’un concert à Lugano en Suisse. C’était un concert retransmis en direct à la radio suite auquel j’ai été interviewé. L’idée m’a plu et j’ai souhaité développer ce même concept lors de concerts. D’où l’idée de ce festival!
Copland, dans son livre intitulé How to listen to classical music , explique que le public qui a peu d’expérience avec la musique classique a peur de ne pas comprendre ce qui se passe. On doit réussir à comprendre que la musique classique ne raconte pas forcément une histoire du début à la fin. C’est cet aspect métaphysique qui peut dérouter au début mais c’est aussi ce qui en fait toute la richesse!
Par ailleurs, pour l’artiste, c’est une richesse d’avoir le retour et les réactions du public. »
Avez-vous quelques premiers souvenirs à nous rapporter sur ce festival ?
« J’étais ravi, pour la première édition du festival, de proposer à Christoph Seybold, un violoniste allemand avec une très belle carrière en Allemagne de jouer en France pour la première fois. Nous avons aussi pour but de faire découvrir de grands artistes !
J’avais aussi proposé un concert un peu expérimental avec Andreï Korobeinikov et le compositeur russe Stanislav Makovsky que j’avais découvert au festival du Touquet en 2016 . Pendant qu’Andreï jouait des extraits de diverses compositions, de Frescobaldi à Boulez, Stanislav les modifiait en direct avec le Karlax* et improvisait en musique électro acoustique. Le public a adoré mais c’étais un pari risqué ! Il y avait tout de même une heure de musique non-stop en fondu enchainé… Je pense qu’il faut oser suivre nos coups de cœur. »
*Karlax : instrument électronique qui capte les gestes de l’interprète et les restitue de manière sonore
Le Festival a lieu dans les Yvelines, sur le site des ruines de l’Abbaye de Port-Royal des Champs…
« Beaucoup de monde connait Port-Royal, mais on ne sait pas forcément qu’il y a une saison de concerts classiques.
Ce lieu est très beau, chargé d’histoire, et assez intime pour être propice aux échanges avec les artistes.
J’habite près de Montfort L’Amaury et la maison Ravel, ce lieu m’inspire beaucoup aussi! D’ailleurs on pourra écouter les Miroirs de Ravel dans la programmation du festival. »
Si vous aviez un message à faire passer, quel serait-il ?
« L’artiste est porteur d’un message en général, cela peut être parfois en fonction des actualités. Avec ce festival, j’aimerais toucher le plus grand nombre et réussir à élargir le public, car il y a parfois un peu de méfiance vis-à-vis de la musique classique. C’est ce que j’essaie de faire à travers les programmations de ce festival : tenter d’expliquer la musique classique et imaginer des événements pour un public qui ne vient pas forcément du classique.
Nous exprimons tous des sentiments universels, quelle que soit notre pratique artistique.
Des personnes de 30 ans m’ont dit que c’était la première fois qu’elles venaient à un concert et que cela leur avait plu, qu’elles y retourneraient. C’est merveilleux de vivre cette expérience pour l’artiste! »
Informations et réservations : 07 68 33 44 78 ou festival@bruitquipense.com
Entrée 20 euros, tarif réduit adhérents et étudiants, pass 2 ou 3 concerts.
Les concerts ont lieu sur le site des ruines de l’abbaye de Port-Royal des Champs. Vous pouvez retrouver les indications à la fin de l’article précédemment publié : port-royal-champs-saison-musicale-a-campagne
Les photos de l’article sont de Karine Péron Le Ouay, photographe. L’article et les photographies ne sont pas libres de droits. Pour toute demande d’utilisation, merci de prendre contact à kplphotographe@gmail.com.
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